Gouvernance : Que vaut la culture pour un pays ? [Thierno Saidou Diakité]

1 week ago
LES CHIMPANZÉS DE BOSSOU -GUINEE

En philosophie, le mot culture désigne ce qui est différent de la nature, c’est-à-dire ce qui est de l’ordre de l’acquis et non de l’inné. La culture a longtemps été considérée comme un trait caractéristique de l’humanité, qui la distinguait des animaux. Mais des travaux récents en éthologie et en primatologie ont montré l’existence de cultures animales.

En sociologie, la culture est définie comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude ». Ainsi, pour une institution internationale comme l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériel intellectuels et affectifs, qui caractérisent une sociétéou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Ce « réservoir commun » évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en manières distinctes d’être, de penser, d’agir et de communiquer

Aujourd’hui, les stratégies de développement durable retiennent un grand nombre de facteurs, tels que les besoins exprimés par les populations ciblées, et leur environnement économique, social, et même politique. La prise en considération de ces éléments est essentielle pour la conduite de tout type de programme de développement durable. Mais dans quelle mesure la culture est-elle prise en compte ? Quel degré d’attention devrait être accordé à la culture d’une population donnée, afin qu’un programme de développement durable soit réellement efficace ?

D’où que l’on vienne, quelle que soit notre histoire, l’idée d’héritage culturel nous parle – que ce soit à travers nos traditions nationales, régionales, ou même familiales, ou à travers notre langue et nos concepts et valeurs apprises. Notre culture est le fondement de notre mode de vie. Et les communautés locales, en particulier dans les régions rurales ou reculées où elles sont moins exposées à d’autres cultures, ont généralement une identité et un héritage collectifs, et accordent un réel poids à la tradition. Comprendre une culture locale veut donc dire comprendre les racines d’un contexte local, et cette compréhension en elle-même est essentielle pour développer et mettre en œuvre un programme de développement durable qui soit réellement ajusté aux besoins de la communauté ciblée.

Lorsque la culture locale n’est pas suffisamment étudiée et prise en compte dans l’élaboration d’un programme de développement, ce programme a toutes les chances d’échouer car il ne sera pas complètement adapté à l’identité et au mode de vie de la population concernée. Un excellent exemple de cette idée est le XO, un ordinateur portable tout terrain, peu coûteux, fonctionnant à basse énergie, et connecté à Internet, imaginé dans le cadre du projet Un ordinateur portable par enfant afin de développer les opportunités éducatives d’enfants pauvres de par le monde. Bien que l’ordinateur portable en question ait été conçu, en termes de matériel et de logiciels, pour des enfants vivant et allant à l’école dans des conditions difficiles, le programme n’a pas accordé suffisamment d’importance aux spécificités culturelles des populations locales, et les communautés ont pensé que le XO ne leur était pas vraiment approprié.

            Un pilier de la croissance économique

En revanche, lorsque la culture est effectivement prise en compte, elle devient souvent l’un des piliers de programmes de développement durable à succès, et de la croissance économique. Non seulement la prise en compte de la culture de la population locale pour l’élaboration d’un programme de développement durable assure que les traditions et le mode de vie de la population seront intégrés, et que le programme sera ainsi effectivement ajusté à ses besoins ; mais en plus, une telle prise en compte peut également servir de base à une activité économique.

Ainsi, l’héritage culturel peut être une source de revenus multiples, et cela commence avec le tourisme culturel. La plupart d’entre nous nous intéressons à une ou plusieurs autres cultures, et avons envie d’aller les voir de nos propres yeux, les admirer, et les vivre un peu. Les populations locales peuvent ensuite se générer des revenus à partir du tourisme, grâce à des emplois comme guide touristique par exemple, ou à des activités de fabrication et de vente d’objets et d’art.


Une reconnaissance accrue de l’importance de la culture

L’importance de la culture et de l’héritage culturel est maintenant de plus en plus reconnue, pour leur propre valeur en tant que testament des traditions, du passé, de l’évolution, et de l’identité actuelle des populations du monde, tel que le montre par exemple le travail de l’UNESCO et ses déclarations de « sites protégés », mais aussi en tant que pilier de développement durable de populations pauvres.

Ainsi, l’Équipe spéciale du système des Nations Unies sur le Programme d’action en faveur du développement au-delà de 2015, créée par le Secrétaire général des Nations Unies à la suite du Sommet de 2010 sur les objectifs du Millénaire pour le développement, a publié une étude indiquant que « l’héritage culturel, les industries culturelles et créatives, le tourisme culturel durable, et les infrastructures culturelles peuvent servir d’outils stratégiques pour la génération de revenus, en particulier dans les pays en voie de développement avec leur héritage culturel souvent riche et leur importante main d’œuvre », et concluant que la culture est « un conducteur et un catalyseur de développement durable ».Le Document produit par le Sommet de 2010 sur les objectifs du Millénaire pour le développement avait déjà « insisté sur l’importance que revêt la culture en tant que facteur du développement et sur ce qu’elle apporte à la réalisation des objectifs du Millénaire ».

Dans le cadre de ce climat nouveau, un concept nouveau est en train d’émerger : celui de la « durabilité culturelle » (« cultural sustainability »), qui est défini par le Center of Cultural Sustainability de l’UTSA College of Architecture aux Etats-Unis comme « la conservation et la perpétuation des cultures » à travers « la considération, la compréhension, et le respect, de l’héritage culturel ». Il semble donc bien que la culture, et l’héritage culturel, commence à être appréciés à leur juste valeur, que leur importance est de plus en plus reconnue à plusieurs niveaux, et que l’on peut observer un accroissement des efforts pour sa préservation et sa promotion.

Pour ce qui concerne notre pays, il y a lieu que nos décideurs appréhendent de plus en plus les enjeux de la promotion de la culture. Aussi bien que le secteur minier, la culture est un formidable potentiel générateur de ressources financières. A ce propos, autant la Guinée est désignée comme un   ‘’ scandale géologique’’, il ne serait guère superflu de la présenter comme un ‘’ scandale culturel ‘’. De ce fait, il revient à nos décideurs d’intégrer dans les différents programmes la dimension culturelle, pour vulgariser et promouvoir les industries culturelles dans notre pays.

Thierno Saïdou Diakité

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